Le site de Madeleine et Pascal
Chronique des groupes

Au Groupe de Direction

Le Téméraire n° 8, 15 novembre 1941
4 octobre 2019, par Madeleine, Pascal

L’auteur s’est vu confier la tâche de présenter dans le journal un aspect des Chantiers du Groupement 43 : l’activité du Groupe de Direction basé à Artemare.

Précédé d’une adresse au rédacteur du journal, l’article apparaît comme une visite des lieux, baraques où s’affairent d’innombrables Chefs et leurs équipes.

L’auteur qui signe "L’avant-dernier R.V." est lui-même alors une recrue récente : la lecture de l’article laisse entendre que son incorporation pourrait dater de juillet 1941. Il se présente comme appartenant alors au Groupe de Direction : réalité ou fiction ? Est-il déjà de retour à Artemare après le passage par Silan ?


Mais oui, vous l’aurez votre article, mon cher rédacteur, mais comprenez-moi ; ici, au groupe de direction, si nous sommes fiers de notre travail, si nous tenons à ce que les autres groupes apprécient notre effort, nous n’avons même pas le temps de venir entretenir les lecteurs du « Téméraire » de nos exploits... Non, ne souriez pas, le mot exploit n’est pas exagéré ; et puisque votre ironie ne semble pas vouloir disparaître, je vais vous donner des précisions qui, je l’espère, sauront vous convaincre. Tout d’abord, abandonnez votre bureau et suivez-moi ; oui, je sais bien que la Presse-Propagande n’a pas encore obtenu la bicyclette qui lui serait nécessaire, je sais aussi par expérience personnelle qu’il ne fait pas bon emprunter le « vélo-liaison », mais venez quand même, le coup d’œil en vaut la peine.

Alors, vous ne trouvez rien de changé ?... Non, mon cher, elles ne sont pas sorties de terre par la seule volonté du chef Lasseur et du valeureux assistant Quenet, nos baraques, il a fallu pour les construire, un effort d’autant plus considérable que, les Anciens partis, l’effectif se trouvait réduit au minimum. Certaines méchantes langues avaient murmuré qu’une fois les « ex » libérés, les travaux ne tarderaient pas à ralentir et que les petits Verts claqueraient des dents sous les tentes. Eh bien ! Qu’ils reviennent, les hommes du Passé, et ils se rendront compte que les nouveaux Anciens sont dignes d’eux.

Rien n’a arrêté nos vaillants Jeunes : ni la pluie, ni le froid, ni même le dimanche.

Les stages divers, la période de libération, furent pour le groupe non pas un élément de trouble, mais d’agitation que seule l’autorité du chef Lasseur sut régir. Le chef Quenet, avec une énergie que je me fais un devoir de signaler, parvint à obtenir une discipline intelligente et le maximum de rendement au point de vue travail. Du reste, mon cher bureaucrate, vous pouvez apercevoir d’ici ce nouvel et sportif assistant : accompagné du chef d’atelier Cusin, il dirige les chantiers.

Mais ce n’est pas tout, la promenade ne fait que commencer. Vous avez pu vous rendre compte que les Jeunes seront à l’abri ; maintenant, pour répondre à vos muettes questions, je vais vous conduire à l’intérieur du cantonnement.

Vous avez constaté lors de l’incorporation de juillet, incorporation dont nous fûmes, vous et moi, les sympathiques acteurs, que les bureaux se tenaient à l’intérieur d’une usine désaffectée. Nous n’avons pas voulu que les murs de ce domaine soient privés des bruits de leur enfance, et nous avons remplacé les bureaux par des ateliers.
Illustration de l'article
Et voici d’abord la « section fer » dirigée par le chef Allasia : les gars sont au travail et font d’autant plus corps avec leurs ateliers que ceux-ci, grâce aux soins du scrupuleux chef, sont peints en vert forestier.

Je vous signale dans ce service un Jeune qui, pour avoir le timbre de voix de Tino Rossi, fait preuve, comme vous pouvez vous en rendre compte, de plus de virilité devant la forge que le trop efféminé chanteur.

Et cet homme qui ne semble pas trop souffrir des restrictions, c’est le chef ouvrier Mauroy : d’un œil attendri il voit sa forge se monter et bientôt un bruit de marteau sur l’enclume apportera sa contribution à la noble symphonie du travail.

Un galandage en partie vitré nous permet d’entrevoir le palais du Prince des Copeaux... Mais votre sceptique sourire a disparu et c’est de l’intérêt que maintenant je lis sur votre visage... Eh bien, puisque votre petite inspection vous enchante, nous allons braver les foudres du chef Besset et pénétrer dans sa belle et moderne menuiserie : scieuses, raboteuses, dégauchisseuses, enfin tout un matériel électrique ronronne et chante sa joie d’être utilisé par des Jeunes et pour le bien commun.

Ce que l’on fait de tous ces copeaux ? Je vais vous le dire, mais tout bas, à l’oreille : ils sont en partie utilisés par le frileux et rouspéteur magasinier Bérard qui, lorsqu’il joue à la Fanfare, retrouve avec ses baguettes son sourire et son surnom mérité de sympathique « Caisse-claire du 43 ». Au-dessus de l’atelier de menuiserie a été installé un magasin d’outillage fort bien achalandé et, puisque nous en sommes aux magasins, je vous signale celui du groupement qui recèle des chaussures, des gamelles, enfin tout un imposant stock de matériel sur lequel veille jalousement l’élégant chef Ciurletti, mais ne cherchez pas à entrer, il vous faudrait pour ce faire, un bon du chef Perdriset et une forte volonté pour résister au désir de séduire nos incorruptibles garde-mites afin d’obtenir l’échange de votre vieux blouson contre un neuf.

Mais ne nous attardons pas et allons rendre visite aux cordonniers qui, sous les ordres du chef Toureille font chaque jour des miracles pour conserver aux chaussures une semelle honorable. Non, ne vous effrayez pas, le chef a une forte voix, mais son sourire est très pacifique et, si parfois il montre les dents, c’est pour que nous ne montrions jamais nos orteils.

Tiens mais que regardez-vous avec insistance ? Ma parole, vous semblez pétrifié, vos yeux s’agrandissent, dois-je appeler un élève-infirmier ? Ah ! J’y suis, ce sont les vélos, les vélos de dames qui sont cause de cet étonnement. Et oui, mon cher rédacteur, c’est encore une innovation au G. D. Nous avons remplacé l’ancienne popote des chefs par un atelier de couture, succursale de la rue de la Paix et le souriant chef Colon, n’ayant pu trouver suffisamment de tailleurs, a dû faire appel à la main-d’œuvre féminine et, ma foi, personne ne s’en plaint. Ces jeunes femmes de France ont le privilège de voir chaque matin et chaque soir monter et descendre les Couleurs et, à l’unisson des nôtres, leurs cœurs battent plus fort pendant la sonnerie.

Gentil, vous savez, le chef tailleur, et... vous avez vu son insigne de famille nombreuse ?

Ce que devient la Fanfare ? Oui, je vois que vous aussi suivez ses progrès ; eh bien, mon Dieu, malgré une permission qui la prive de son dévoué chef, l’assistant Fournier, elle n’en est pas pour cela muette et l’accueil qu’elle réserva au chef Denis, lors de son retour d’Afrique, nous prouve que les recommandations écrites du maestro Fournier avaient été suivies « au poil ».

Nous voici devant les cuisines et votre œil envieux se pose d’instinct sur le facies rondelet d’un blond et souriant garçon. Non, vous ne vous trompez pas, et c’est bien en face du chef cuistot que vous vous trouvez et, pour ne pas vous lasser par mes discours, je vais vous faire juger de notre cuisine en vous invitant ce soir. Mais n’allez pas raconter à tous vos camarades ce qu’était le menu au G. D. sans quoi l’effectif mangeant triplerait bientôt, au grand désespoir du chef Henry à qui nous devons l’amélioration considérable de notre ordinaire et que je veux remercier ici au nom de tous mes camarades.

Et voilà notre visite terminée, et l’article aussi, soupireront avec joie les lecteurs.

Jeunes qui entrez, venez sans crainte ; nous avons exécuté les ordres du chef Denis lorsqu’il nous disait dernièrement : « Les gars, mettez-en un vieux coup, de façon à ce que les Jeunes n’aient pas froid quand ils sortiront du jupon de leur mère ! »

[/L’avant-dernier R. V. /]


Article mis à jour le 15 octobre 2019