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Barbe-Bleue a existé

Le Téméraire n° 38, 15 juin 1943
6 octobre 2019, par Madeleine, Pascal

Cet article fait partie des cinq récits historiques consacrés à de grandes figures nationales.

Il raconte l’histoire de Gilles de Rais, compagnon de Jeanne d’Arc mais aussi monstre sanguinaire qui sut se repentir avant le supplice auquel il fut condamné.


Vers la fin septembre 1404, arrivait en ce monde, au château de Marchecoul, en pays nantais, celui que la tradition populaire devait rendre célèbre sous le nom de Barbe-Bleue. C’était le baron Gilles de Rais.

Orphelin à dix ans, marié à seize, maître d’une immense fortune, il consacre sa jeune ardeur à la lutte contre l’Anglais. C’est l’époque de la Guerre de Cent Ans. Gilles nourrit une haine particulière pour les traîtres français qui se sont rangés dans le parti anglais contre le Roi. Son cri de guerre est : « Sus aux mauvais Français ».

Ses exploits ont vite fait de le couvrir de gloire. C’est un soldat étonnant de hardiesse, il n’a pas son pareil à l’assaut des forteresses. C’est à lui que Charles VII confie le soin de veiller à la sécurité de Jeanne d’Arc. Il participe à tous ses succès et quand Jeanne sera enfermée à Rouen, il rôdera autour de cette place, en pays ennemi, comme un chien en quête de sa maîtresse.

Mais il ne parvient pas à la sauver et Jeanne meurt sur le bûcher, achetant au prix de son martyre la libération de notre sol et sa pacification.

Gilles de Rais rentre dans ses terres. Mais son âme n’est point faite pour la paix. Il a conquis à vingt-cinq ans le titre de Maréchal de France. Il est aussi riche que le Roi. Il met sa maison sur un pied royal.

Rien ne lui paraît trop coûteux. Tout le monde profite de sa libéralité et bientôt tout le monde le gruge… Et bientôt Gilles de Rais doit vendre ses terres.

Il ne peut pas se résoudre à comprimer ses dépenses. Son orgueil s’y refuse. Il est acculé à la ruine. Alors, il va trouver les alchimistes qui prétendent fabriquer de l’or à partir de vils métaux. Gilles lit leurs grimoires, tente les expériences magiques, sans succès… Il fait venir des sorciers de Paris, d’Allemagne, de Lombardie. Il aménage de grands laboratoires.

Se sentant entouré de savants, il reprend confiance. Il se voit déjà le maître du monde.

Mais toutes les incantations, toutes les expériences demeurent vaines. Et la ruine est imminente. C’est alors que les alchimistes dévoilent leur dernier secret : le démon ne résiste pas aux sacrifices humains, à l’offrande du sang des enfants. Gilles se met à tuer ; il couvre de sang humain des manuscrits magiques. Les meurtres se succèdent. Gilles n’a toujours pas trouvé le secret du grand œuvre. Il s’affole. Il redouble ses crimes. Il en arrive à faire périr ses victimes à petit feu avec des raffinements de cruauté, pour le plaisir de les voir souffrir, tant il se sent lui-même déchiré par l’angoisse.

Les gens du peuple, terrorisés, cachent leurs enfants, n’osent plus sortir la nuit sinon en troupe. Mais on craint trop Gilles de Rais et ses gens pour l’accuser tout haut des forfaits qu’on lui impute.

Pourtant le bruit en parvient aux oreilles de l’évêque de Nantes. Celui-ci dépêche à Marchecoul une troupe qui arrête Gilles chez lui comme en une souricière.

Et son procès commence. L’accusé se montre, les premiers jours, d’une violence inouïe. Il injurie les juges puis se réfugie dans un mutisme absolu.

Devant cette attitude, l’évêque le déclare excommunié, exclu de l’Église, condamné aux peines éternelles. Gilles est accablé sous le poids de cette sentence. Du jour au lendemain, son attitude change. Il se soumet à l’Église, reconnaît avoir tué deux cent quarante personnes. Il est complètement vaincu. Il ne demande qu’une chose : que soit levée la sentence d’excommunication qui le frappe. En proie au repentir le plus sincère et le plus profond, il ouvre à tous le secret de sa conscience. Et les assistants ne savent s’ils doivent avoir horreur ou pitié.

Si j’ai tant offensé Dieu, dit-il à la foule muette d’effroi, si j’ai commis tant de crimes énormes, c’est que, dès l’enfance, je n’ai pas été élevé dans la Loi de Dieu. J’allais sans frein, faisant tout ce qui me plaisait, m’adonnant à tous les plaisirs. Oh, vous qui m’écoutez et qui avez des enfants, élevez-les dès le bas âge dans les bonnes doctrines. Gouvernez-les dans les chemins de la vertu. Gardez-vous de les laisser vivre dans l’oisiveté. L’oisiveté et une nourriture trop succulente engendrent presque tous les maux. C’est par là que j’ai été conduit à l’abîme où je suis tombé.

Le 25 octobre 1440, Gilles de Rais et ses complices sont condamnés à être pendus. Il demande pardon aux parents de ses victimes. Touchée par ses signes de contrition, la foule d’une seule voix répond : « Oui, merci, merci ! ».

Gilles de Rais est dans la joie. Il demande une dernière faveur, celle de mourir avant ses complices, pour leur montrer l’exemple.

Il témoigne au supplice du même courage dont il a jadis fait preuve dans les batailles. Et les familles des enfants que Gilles a égorgés prennent son deuil. Après sa mort, elles jeûnent pendant trois jours afin que Dieu accueille son âme parmi les bienheureux.

[/R.V. d’après Fr. Funk Brentano/]


Frantz Funck-Brentano (1862-1947) est un archiviste, conservateur de la bibliothèque de l’Arsenal et historien français qui s’intéressa plus particulièrement à l’histoire de l’Ancien Régime. (Source Wikipedia)


Article mis à jour le 15 octobre 2019