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Une politique peu reluisante

Le Téméraire n° 40, 20 août 1943
12 octobre 2019, par Madeleine, Pascal

Cet article fait partie des cinq récits historiques consacrés à de grandes figures nationales.

Il est consacré à la politique de Louis XI et son titre peut surprendre. Il faut sans doute entendre qu’il s’agit de décrire une politique peu soucieuse du faste et des apparences extérieures. Selon j’auteur, cette politique fut profitable à la France et il n’y a pas de plus bel exemple de ce que peuvent l’intelligence et le travail.


Un piètre héritage

15 août 1460. Les cloches sonnent à Reims. Louis XI monte sur le trône de France. Il y a trente ans que Jeanne d’Arc est morte sur le bûcher de Rouen, la France est loin d’être complètement relevée des blessures de la guerre de Cent Ans. Le prestige royal est faible et les grands féodaux, turbulents, jouent aux rois dans leurs provinces. Le royaume, sans cohésion à l’intérieur se trouve enserré entre l’Angleterre d’une part, qui tient Calais et dont le roi trouve des complicités en Normandie et en Bretagne et revendique toujours la couronne de France, et le duché de Bourgogne d’autre part, qui s’étale des Alpes aux îles Frisonnes, fief trop vaste, riche de toute la richesse des industries des Flandres et trop puissant pour ne pas aspirer à l’indépendance absolue. Les ennemis de la France envisagent son démembrement et attendent une occasion favorable. Étant donné les circonstances, leurs espoirs paraissent fondés.

Les résultats

48 ans plus tard, non seulement la France n’a pas été absorbée par ses voisins mais les grands sont muselés, le prestige royal et l’unité du royaume consolidés. L’Anjou, la Provence, le Maine et le Roussillon sont passés au domaine royal, ainsi que la Bourgogne, la Franche-Comté, l’Artois, la Picardie et le Bourbonnais, partie méridionale du duché de Bourgogne. L’ennemi oriental de la France se trouve de ce fait considérablement affaibli, pratiquement inoffensif. Quant à l’Angleterre, privée de cet allié ainsi que des complicités intérieures qu’elle avait jadis trouvées chez nous, elle est quasi impuissante sur le continent et a signé avec le Roi de France une paix définitive.

L’homme qu’il fallait

Voilà ce que la France doit à Louis XI et à lui seul, car il n’eut pas, comme le Roi-Soleil, de grands ministres et de grands généraux : il fit tout par lui-même. Quel est le secret de ce succès sans pareil dans notre histoire ? Le génie essentiellement réaliste du monarque. Deux lévriers attendaient aux portes du royaume. Qu’un troisième montât sur le trône et c’en était fait de la France. Ce fut un renard. Et les lévriers en furent pour leurs frais.

Vêtu de bure couleur poussière - il voyageait beaucoup - le monarque déconcertait ceux qui l’approchaient. « Est-ce là le Roi de France ? » demandaient les ambassadeurs et les hauts dignitaires étrangers, somptueusement vêtus et accompagnés d’une suite nombreuse. Certes, la tenue du roi n’était pas belle mais elle était pratique, et Louis XI aimait tout ce qui était pratique. D’une manière générale, il n’appréciait pas ceux qu’il appelait les « pompeux » et les bons apôtres qui portaient sa parole aux souverains étrangers étaient habillés avec une simplicité propre à inspirer confiance.

Non qu’on fût chiche à cette cour de Louis XI, mais on préférait garder l’argent des « bonnes villes » pour acheter les princes et les ministres étrangers. C’était plus profitable. Le roi ne se faisait guère d’illusions sur les hommes et il savait qu’ils sont toujours heureux de recevoir une petite gratification de la main à la main. Ainsi ce roi à l’humble mine, avec ses conseillers habillés en bourgeois, tenait entre ses mains une multitude de ficelles au bout desquelles en pays étrangers s’agitaient sur commande autant de pantins habillés de soie et d’or. Grâce à eux et grâce à ses modestes émissaires officiels et officieux, petites gens et insignifiants d’apparence, présents partout où se trouvait quelque grand personnage à influencer. Ils gardaient pour le moment opportun de l’or, des confidences troublantes propres à brouiller les cartes de l’adversaire, des offres alléchantes, des révélations surprenantes. Et en attendant ils prenaient le vent.

Offensive diplomatique

Pas de ministre des affaires étrangères pour diriger tout ce monde : le roi seul donnait les ordres et menait toute l’affaire. Et Dieu sait si les décisions étaient nombreuses. Louis XI avait assez trépigné d’impatience devant l’inertie et les hésitations de son père. Il s’était assez révolté. Du jour où il fut au pouvoir, il voulut être partout présent et agissant : il prit l’offensive. Non pas une de ces grandes offensives guerrières, tout unies et simples dont les préparatifs et le but sont clairs pour tout le monde mais une offensive diplomatique aux cent aspects divers qui se déroulait dans l’ombre et exigeait une énorme dispersion de l’attention en même temps qu’elle nécessitait une ténacité sans égale. Sans cesse les données changeaient : les rois étaient détrônés, les fiançailles rompues, les ministres emprisonnés et les alliances renversées. Il fallait un cerveau lucide pour retrouver toujours le bon chemin dans ce dédale mouvant, réadapter les plans, faire de nouvelles propositions et de nouvelles menaces. Et quelle habileté de comédien pour feindre les sentiments les plus inattendus ! Dans cette grande bataille il y eut des intermèdes guerriers mais seulement lorsque ce fut indispensable ou d’un profit certain, par exemple lorsqu’il y avait moyen de jeter l’hésitation dans le parti adverse par une rapide campagne contre le plus faible des coalisés ! Chaque fois que ce fut possible, Louis XI fit combattre les autres pour lui. Il était alors prodigue de l’argent de ses bonnes villes, prodigue aussi d’encouragements et de félicitations : la gloire militaire ne l’intéressait pas, mais il savait faire semblant d’envier les lauriers de ceux qui pour lui se couvraient de gloire. Il fut brave et hardi lorsqu’il le fallut, et paya dc sa personne dans les combats, mais n’attendit jamais de la guerre les succès définitifs : dès qu’une trêve s’avérait possible, il la signait en ayant soin d’introduire parmi les clauses quelque stipulation qui laissât pour l’avenir une porte ouverte à ses prétentions.

Ne soyons pas pressés !

Passionné, il fut pourtant patient, d’une patience d’araignée à l’affût : il travaillait toujours pour l’avenir et pensait que le temps travaille pour les gens intelligents - dont il était. Jamais un succès ne lui paraissait définitif, jamais une catastrophe ne lui parut définitive. À peine était-elle survenue qu’il avait pris ses premières dispositions pour la réparer dans deux ans, trois ans, dix ans, à la première étourderie de ses adversaires ; il se mettait simplement en position pour tirer le bon parti de l’occasion quand elle se présenterait.

Son armée ne se battit pas souvent mais elle était nombreuse et bien équipée : c’était un argument de poids dans les négociations. Il était souvent question d’elle dans les demandes d’argent que le roi adressait, sur un ton bonhomme, à ses bonnes villes. Les chiffres étaient considérables, mais les bonnes villes donnaient toujours : le roi n’était pas un étranger pour les bourgeois ; il était sans cesse en quelque bourg, conversant avec les habitants ; sa vie se passa en voyages. Les bourgeois aimaient ce roi qui comptait davantage sur eux et leur industrie que sur les nobles et leur tintamarre héroïque. Ils savaient que tel ou tel haut et puissant seigneur qui s’était permis un acte de rébellion avait été décapité sans merci. Ils disaient que le roi était juste, et comme il travaillait à augmenter le chiffre des exportations et à éviter la guerre, les bourgeois étaient presque heureux de collaborer avec lui.

Telle fut la politique de Louis XI, peu reluisante mais combien profitable à la France. C’était, à l’époque, la seule pratiquable, et elle seule a rendu possible pour les siècles suivants une politique plus prestigieuse. Il n y a pas, dans notre histoire, de plus bel exemple de ce que peuvent l’intelligence et le travail.

[/R. VANBRUGGHE/]


Article mis à jour le 15 octobre 2019