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Pathelin mis en boîte

Le Téméraire, n° 38, 15 juin 1943
6 octobre 2019, par Madeleine, Pascal

La Farce de Maître Pathelin est une pièce de théâtre du genre de la farce composée à la fin du Moyen Âge, vers 1460. Elle est souvent considérée comme la première pièce comique de la littérature française et l’un des plus anciens chefs-d’œuvre du théâtre comique médiéval.

Elle constitue une satire féroce et une suite de ruses sans autre morale que le plaisir de voir tromper un trompeur. Les personnages présentés sont des canailles et Maître Pathelin, avocat sans cause, l’est plus encore que tous les autres réunis. (Source : Wikipedia)

Cette saynète met en scène deux compères, le meunier et Maître Pathelin. Elle était vraisemblablement destinée à être jouée par les jeunes des Chantiers le soir à la veillée.


En attendant de pouvoir publier les farces que nous vous avons demandées (ce qui ne saurait tarder), nous vous donnons encore un exemple aujourd’hui.

ACTE I

(Le meunier entre en scène par la droite. Deux compères entrent par la gauche.)

— 1er COMPÈRE : Oh là, meunier, où allez-vous si tôt ?
— MEUNIER : Eh ! Ne savez-vous point qu’aujourd’hui comparaissent les deux coquins qui m’ont volé mon âne ? Je vais au tribunal. Et je compte bien ramener Martin au moulin.
— 2e COMPÈRE : N’y comptez point, meunier.
— MEUNIER : Eh ? N’est-il pas à moi ?
— 1er COMPÈRE : Certes mais quand on se fait voler aussi bêtement que vous, on ne va pas s’offrir à la risée des juges. Croyez-moi, n’allez point au jugement, vous seriez quitte pour votre confusion.
— MEUNIER : Je n’entends point les choses de cette oreille.
— 2e COMPÈRE : Eh bien, entendez donc la plaidoirie de Maître Pathelin. Le voilà justement qui arrive et il répète son boniment. (Ils se cachent dans la coulisse pour écouter.)

ACTE II

(Pathelin paraît, tenant son âne par la bride. Il s’éponge.)

— PATHELIN : Diable qu’il fait chaud pour plaider... Voyons quand même cette péroraison. (Il commence, avec force simagrées.)

Non, Messieurs, vous ne condamnerez pas des hommes ingénieux et spirituels. Vous ne donnerez pas raison à la bêtise et à la vanité. Il n’y a que trop de vaniteux en ce bas monde. Vous ne favoriserez pas la multiplication de cette sotte engeance.
Faut-il être bête, Messieurs, faut-il être bête pour se laisser prendre à un piège aussi simple !
Réfléchissez, Messieurs ! Si un inconnu se présentant à vous se déclarait ex abrupto enthousiasmé par votre beauté au point de vouloir faire votre portrait sur le champ et que vous teniez par le licol un âne chargé de farine, vous laisseriez-vous, comme ce nigaud de meunier, distraire par des compliments insolites au point d’en oublier de surveiller votre âne et de le laisser voler par un comparse du plaisantin ?
Je ne le crois pas. Et pour que je le croie, il faudrait que vous donniez raison à ce meunier naïf.

ACTE III

(Les deux compères reparaissent, portant sur un brancard une lourde caisse. Ils posent la caisse et s’épongent. Grognements dans la caisse.)

— 1er COMPÈRE : Diable qu’il fait chaud pour porter un pareil fardeau !

— PATHELIN : Qu’est-ce que cet appareil bizarre ?
— 2e COMPÈRE : C’est un grand niais que nous allons marier.
— PATHELIN : Mais pourquoi l’avez-vous mis en pareil emballage ?
— 1er COMPÈRE : Il ne veut rien savoir pour être marié et nous avons manqué mille fois de le perdre. C’est son père qui veut le marier. Mais lui a horreur du mariage.
— PATHELIN : Peut-être la femme qu’on lui destine est-elle laide ?
— 2e COMPÈRE : Fasse le ciel, Monsieur, que vous en trouviez une aussi belle.
— 1er COMPÈRE : Voyez plutôt son portrait !
— PATHELIN : Diable ! La belle enfant ! Mais il est fou, le grand nigaud !
— 2e COMPÈRE : Hélas ! Monsieur, il a comme cela des idées fixes. Et il est bien en retard pour son âge. Il a une peur horrible de toutes les femmes, quelles qu’elles soient. C’est la septième fois que son père essaie de le marier. Chaque fois, il s’est enfui. C’est pourquoi, cette fois-ci, en désespoir de cause, il a choisi pour lui la plus belle fille de la province, qui est la fille d’un de ses amis de régiment.
— PATHELIN : La pauvre enfant ! Comme je plains son sort …
— 1er COMPÈRE : Hélas ! Ses six premières femmes, il les a battues jusqu’à ce qu’il se soit enfui.
— PATHELIN : Si j’essayais de lui faire entendre raison : je suis avocat.
— 2e COMPÈRE : Essayez, Monsieur, c’est un grand service à rendre à cette pauvre fille qu’il s’en va épouser.
— PATHELIN : Jeune homme !
— LA CAISSE : (Grognements.)
— PATHELIN : Jeune homme, écoutez-moi !
— LA CAISSE : (Grognements plus forts et plus prolongés.)
— PATHELIN : Jeune homme, écoutez la parole d’un grand avocat.
— LA CAISSE : (Grognements encore plus forts et plus prolongés.)
— PATHELIN : Jeune homme, ne trouvez-vous point de plaisir à l’idée d’épouser une belle fille ?
— LA CAISSE : (Grognements interminables.)
(Le 1er compère va chercher une cruche d’eau et la verse sur la caisse.)
— PATHELIN : Qu’est-ce qu’il y a ? (Il s’est reculé devant tout ce tapage.)
— 2e COMPÈRE : Ce n’est rien. C’est une crise de rage qui lui a pris à l’idée de son mariage. (Il verse encore une cruche. Les grognements cessent.)
— PATHELIN : Je crois que personne ne le fera changer d’avis !
— 1er COMPÈRE : (Versant encore de l’eau.) C’est ce qui est désespérant. Si seulement on pouvait noyer ce grand dadais et mettre à sa place quelqu’un d’intelligent.
— 2e COMPÈRE : Quelqu’un qui soit bien fait.
— 1er COMPÈRE : Quelqu’un qui convienne à cette jolie demoiselle.
— 2e COMPÈRE : Quelqu’un dans votre genre, quoi !
— PATHELIN : Oui, ça serait une bonne œuvre.
— 1er COMPÈRE : Qu’est-ce qu’elle va dire, la pauvre, quand on va sortir cette horreur de sa boîte ?
— 2e COMPÈRE : Quand on va sortir ce diable de sa boîte.
— 1er COMPÈRE : La vierge et le dragon.
— 2e COMPÈRE : Que c’est triste.
— 1er COMPÈRE : Quelle triste surprise cela va être pour elle !
— 2e COMPÈRE : Oui, elle sait qu’on le lui envoie dans une caisse, mais elle croit que c’est pour lui faire une bonne surprise.
— 1er COMPÈRE : Dire qu’en ce moment elle attend son fiancé avec émoi. Comme elle va être déçue ! Elle doit rêver à quelqu’un dans votre genre.
— PATHELIN : Vous croyez ?
— 2e COMPÈRE : Dame ! Tel que vous êtes, vous devez faire rêver toutes les pucelles du pays.
— PATHELIN : On me l’a bien dit quelquefois.
— 2e COMPÈRE : Pauvre demoiselle, quel plaisir elle aurait à vous voir sortir de la caisse !
— PATHELIN : Ainsi, vous croyez…
— 1er ET 2e COMPÈRE : (Ensemble.) Que ça serait un sauvetage.
— PATHELIN : Eh bien, soit ! Il faut être bon dans la vie.
(Ils déclouent la caisse. Le meunier en sort, l’air niais. Pathelin y rentre.)
— 2e COMPÈRE : Dieu vous rendra cela au centuple. (Il cloue le couvercle.)
— PATHELIN : Ne clouez point trop la caisse !
— 2e COMPÈRE : Juste ce qu’il faut.
— PATHELIN : Pourquoi faut-il que ce soit tant cloué ?
— 2e COMPÈRE : Parce que chaque clou à déclouer, c’est une minute d’impatience pour la demoiselle. Vous lui parlerez à travers ce trou. Ce genre de mystère convient aux premières heures de l’amour.
— PATHELIN : Je brûle d’être arrivé !
— 1er COMPÈRE : Cela ne saurait tarder.
— PATHELIN : Partons-nous ?
— 2e COMPÈRE : Nous partons, nous partons. Au revoir, Maître Pathelin, portez-vous bien !
— PATHELIN : Comment, marauds, vous me laissez-là !
— 1er COMPÈRE : Oh ! Juste le temps de décamper avec votre âne.
— PATHELIN : Gredins je vous ferai pendre.
— MEUNIER : Gardez-vous bien de plaider contre nous, Maître Pathelin. Souvenez-vous de votre péroraison (Il lit le papier de Pathelin.) :

« Non, Messieurs, vous ne condamnerez pas des hommes ingénieux et spirituels. Vous ne donnerez pas raison à la bêtise et à la vanité. Il n’y a que trop de vaniteux en ce bas monde. Vous ne favoriserez pas la multiplication de cette sotte engeance. »

(Ils s’en vont avec l’âne, tandis que Pathelin grogne dans sa caisse.)

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Article mis à jour le 15 octobre 2019