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Le Téméraire

Dernier ajout : 15 octobre 2019.

Le service militaire ayant été interdit sur ordre de l’occupant et remplacé par les Chantiers de la Jeunesse Française, Raymond Vanbrugghe y est incorporé dans le courant de l’année 1941. Il est affecté au groupement 43 SIDI BRAHIM basé à Artemare (01).

Le groupement d’Artemare comprend onze groupes dont le n° 2 à Anglefort, le n° 5 à Sylan (hameau de la commune de Corbonod), désigné comme Silan sur la carte qui suit mais aussi parfois comme Sylans, le n° 6 au Molard près de Brénod, le n° 7 au Jalinard et le n° 8 (dit aussi Driant) autour de la Ferme Guichard. Le n° 11, indiqué sur la carte comme PC, est le Groupe de Direction situé à Artemare tandis que la Maison des chefs, qui en est distincte, semble se situer juste au-dessus de Don.

Raymond effectue d’abord la période obligatoire de huit mois. Selon sa reconstitution de carrière, cette période s’étend du 1er novembre 1941 au 30 juin 1942. Il semble cependant qu’il ait pu y arriver un peu plus tôt. Il s’engage ensuite sous contrat dans les Chantiers de la Jeunesse Française jusqu’au 31 mai 1944, date où il rejoint le maquis de l’Ain.

Les lieux où est passé Raymond pendant son activité aux Chantiers de la Jeunesse Française sont connus par la tradition familiale : il aurait été affecté à Silan au début de la période obligatoire et aurait ensuite été déplacé à Artemare, vraisemblablement avant la fin de la période obligatoire. Nous savons par ailleurs quelle place tenaient dans sa mémoire des lieux tels qu’Artemare, la Ferme Guichard ou le Crêt de Planachat, sans pour autant qu’il se soit beaucoup confié sur ce qu’étaient ses activités là-bas.

À la fin de l’année 1943, le groupement 43 est transféré dans le sud-ouest de la France. La chronologie qui suit suggère que ce transfert pourrait avoir eu lieu au plus tôt fin octobre 1943.

Implantation des groupes du groupement 43

Entre 1941 et 1943, le groupement 43 édite un journal, Le Téméraire, une à deux fois par mois. Ce journal compte, selon les numéros, de douze à vingt pages en format sensiblement A4. Il est imprimé à Belley puis à Aix-les-Bains et distribué par voie postale.

Simone nous ayant indiqué que Raymond avait écrit dans Le Téméraire, nous avons pu consulter à la Biblitothèque François Mitterrrand (Bibliothèque nationale de France) tous les exemplaires disponibles de ce journal, depuis le n° 6 du 1er octobre 1941 jusqu’au n° 42 du 20 octobre 1943. La carte qui précède est extraite du n° 7 du journal : on y voit la localisation de tous les groupes et le Crêt de Planachat qui domine la Ferme Guichard.

Bandeau du n° 27 du 15 novembre 1942

La signature de Raymond Vanbrugghe apparaît une première fois dans le n° 8 du 15 novembre 1941 : l’auteur, modestement dissimulé derrière "L’avant-dernier R.V.", est reconnaissable à son style. Son écriture, du même niveau que celle, tout-à-fait remarquable, de certains chefs, tranche en effet immédiatement sur l’ensemble de la prose anonyme, un rien laborieuse, du reste du journal. Raymond s’est donc vu confier la tâche de présenter dans le journal, sous l’intitulé Au Groupe de Direction, les lieux dans lesquels il est récemment arrivé. La lecture de l’article laisse entendre que son incorporation pourrait dater de juillet 1941.

En fin d’année, un article, toujours signé de ses initiales, peut suggèrer qu’il a bien séjourné à Silan : il s’agit en effet d’un conte de Noël un peu mélancolique, Son Noël (n° 10 du 25 décembre 1941), qui se déroule dans l’environnement d’une école.

Six mois plus tard, l’article intitulé Le 43 fête son premier anniversaire (n° 19 du 15 juin 1942) simplement signé "Un témoin participant" relate un évènement qui s’est déroulé à la fin de la période obligatoire de Raymond.

Cette période terminée, Raymond apparaît sous son patronyme explicite dès le n° 21 du 1er août 1942. Il fait alors partie des Chefs d’atelier qui se rendent à Saint-Claude le 10 juillet 1942 et se trouve chargé, avec un camarade, du compte-rendu de ce séjour, intitulé Voyage au pays des pipes.

Petites annonces du n° 32 du 15 février 1943

On ignore quelle est alors la mission exacte de ce chef d’atelier mais il est vraisemblable que ses talents d’écrivain ont déjà été reconnus puisqu’il publie régulièrement à partir des mois suivants.

  • La colonie du Molard (n° 22 du 1er septembre 1942) est manifestement un texte de commande. Cette colonie de vacances accueillant des enfants de réfugiés n’a manifestement pas beaucoup inspiré l’auteur.
  • Trois textes d’imagination intitulés Un Rêve, Un Rêve (un autre) et Rêves, dans les n° 28, 29 et 31 de décembre 1942 et janvier 1943 vaudront à Raymond Vanbrugghe d’être l’objet, dès le n° 32 du 15 février 1943, d’une Petite annonce : on appelle les lecteurs à l’aider à calmer ses nuits agitées (illustration ci-contre).
  • Dans Les bateliers de la vodka (n° 35, avril 1943) il signe, en tant qu’Assistant Vanbrugghe, un texte qui critique les idéologies nationales et affirme la nécessité de construire la société sur la base des valeurs inculquées au sein de la famille.
  • Enfin Pâques (n° 36, 1er mai 1943) est une contribution poétique porteuse d’espérance à l’approche du printemps.

Certains des textes précédents furent-ils jugés trop critiques, voire légèrement subversifs ? Décida-t-on de recadrer leur auteur en offrant un exutoire à sa créativité parfois débridée ? Toujours est-il que l’Assistant Vanbrugghe apparait en couverture du journal comme rédacteur à partir du n° 37 du 15 mai 1943 et jusqu’au n° 42 du 20 octobre 1943. Le nombre d’articles publiés sous sa signature devient alors très important et de nouveaux thèmes apparaissent. Ils témoignent indirectement de la mission attribuée au journal et donc à son nouveau rédacteur. Il s’agit à la fois :

  • de rendre compte de la vie du groupement 43 et des groupes, comme dans L’inauguration du foyer et Potins du groupement, tous deux publiés dans le n° 40 du 20 août 1943.
  • de participer à l’instruction morale et politique des hommes, telle qu’elle est conçue par les Chantiers de la Jeunesse française. Il en va ainsi de deux textes en forme d’éditorial : Éditorial 1 (n° 38 du 15 juin 1943) et Éditorial 2 (n° 41 du 20 septembre 1943). 240 jours (n° 39, 20 juillet 1943) accueille les nouvelles recrues par un texte bien en accord avec la vision de son auteur : il met en avant les bienfaits de la découverte de la rude vie des Chantiers et du contact avec la nature et le monde rural. Si Ève (n° 38, 15 juin 1943) célèbre l’amour maternel par un texte plutôt poétique, d’autres écrits nous apparaissent plus surprenants aujourd’hui tels Les Compagnons de France artisans de la Révolution (n° 39, 20 juillet 1943) et La condition ouvrière (n° 40, 20 août 1943). Il faut évidemment replacer tous ces articles dans le contexte idéologique de l’époque sans exclure qu’il soient inspirés par des textes de propagande officielle.
  • d’édifier le lecteur par des récits historiques mettant en scène de grandes figures nationales : ainsi Barbe-Bleue a existé (n° 38, 15 juin 1943), Colbert l’intraitable (n° 39, 20 juillet 1943), Une politique peu reluisante (n° 40 du 20 août 1943) dont le titre étonnant cache un panégyrique du gouvernement de Louis XI, Trois années d’aventure (n° 41, 20 septembre 1943) qui raconte l’épopée de Cavelier de la Salle du Canada au delta du Mississipi et enfin La dernière campagne de Turenne (n° 42, 20 octobre 1943). Raymond semble puiser son inspiration dans des ouvrages disponibles à la bibliothèque du groupement. Il prend alors la succession d’autres auteurs qui ont, avant lui, célébré les mérites de Richelieu, Pierre Savorgnan de Brazza, Bayard, Marceau...
  • de produire de petites saynètes vraisemblablement destinées à être jouées par les hommes au foyer des groupes ou autour d’un feu de camp durant les soirées. Ce sont Pathelin mis en boîte (n° 38, 15 juin 1943) et Une affaire de marché noir (n° 39, 20 juillet 1943).
  • et enfin de distraire le lecteur par des petits contes librement proposés par le rédacteur. Mais ceux-ci se font plus rares maintenant et relèvent d’une veine tragique. Le sacristain de Merkeghem (n° 36, 1er juin 1943) raconte le destin brisé d’un jeune homme qui se rêvait marin mais c’est aussi une rêverie où transparaît l’amour que l’auteur voue à la pêche. Quant à La robe jonquille (n° 40, 20 août 1943), c’est la pitoyable histoire du malheureux Verhoven qu’un destin fatal conduisit au suicide dans l’écluse.
L’assistant Vanbrugghe devient rédacteur de la revue

Le logo est une photo d’un écusson en tissu du groupement 43, trouvée sur internet.